Introduction
Connu pour ses œuvres ayant participé à la période des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, déçu par les difficultés de la vie de société, se fit sur le tard herboriste amateur. Il expliqua d'ailleurs par la suite avoir trouvé dans cette activité une consolation réelle à ses douleurs. Il évoque tout cela dans son ouvrage "Rêveries du promeneur solitaire", en faisant référence à son passage sur une petite île sauvage du lac de Bienne, en Suisse.
Le Bonheur de l'ami des Plantes (selon Jean-Jacques Rousseau)
"Ne voulant plus d’œuvre de travail il m'en fallait un d'amusement qui me plût et qui ne me donnât de peine que celle qu'aime à prendre un paresseux. J'entrepris de faire la "Flora petrinsulari"s et de décrire toutes les plantes de l'île sans en omettre une seule, avec un détail suffisant pour m'occuper le reste de mes jours. On dit qu'un Allemand a fait un livre sur un zeste de citron, j'en aurais fait un sur chaque gramen des près, sur chaque mousse des bois, sur chaque lichen qui tapisse les rochers ; enfin je ne voulais pas laisser un poil d'herbe, pas un atome végétal qui ne fût amplement décrit. En conséquence de ce beau projet, tous les matins après le déjeuner, que nous faisions tous ensemble, j'allais une loupe à la main et mon "Sytema naturoe" sous le bras visiter un canton de l'île, que j'avais pour cet effet divisée en petits carrés dans l'intention de les parcourir l'un après l'autre en chaque saison. Rien n'est plus singulier que les ravissements, les extases que j'éprouvais à chaque observation que je faisais sur la structure et l'organisation végétale, est sur le jeu des parties sexuelles de la fructification, dont le système était alors tout à fait nouveau pour moi. La distinction des caractères génériques, dont je n'avais pas auparavant la moindre idée, m'enchantait en les vérifiant sur les espèces communes, en attendant qu'il s'en offrît à moi de plus rares. La fourchure des deux longues étamines de la brunelle, le ressort de celles de l'ortie et de la pariétaire, l'explosion du fruit de la balsamine et de la capsule du buis, mille petits jeux de la fructification que j'observais pour la première fois me comblaient de joie." (...)
"Les arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure et le vêtement de la terre. Rien n'est si triste que l'aspect d'une campagne nue et pelée qui n'étale aux yeux que des pierres, du limon et des sables. Mais vivifiée par la nature et revêtue de sa robe de noces au milieu du cours des eaux et du chant des oiseaux, la terre offre à l'homme dans l'harmonie des trois règnes un spectacle plein de vie, d'intérêt et de charme, le seul spectacle au monde dont ses yeux et son cœur ne se lassent jamais." (..)
"Brillantes, fleurs, émail des prés, ombrages frais, ruisseaux, bosquets, verdure, venez purifier mon imagination. Mon âme morte à tous les grands mouvements ne peut plus s'affecter qu par des objets sensibles ; je n'ai plus que des sensations, et ce n'est plus que par elles que la peine ou le plaisir peuvent m'atteindre ici-bas. Attiré par les riants objets qui m'entourent, je les considère, je les contemple, je les compare, j'apprends enfin à les classer, et me voilà tout d'un coup botaniste qu'a besoin de l'être celui qui ne veut étudier la nature que pour trouver sans cesse de nouvelles raisons de l'aimer.
Je ne cherche point à m'instruire : il est trop tard. D'ailleurs je n'ai jamais vu que tant de science contribuât au bonheur de la vie. Mais je cherche à me donner des amusements doux et simples que je puisse goûter sans peine et qui me distraient de mes malheurs. Je n'ai ni dépense à faire ni peine à prendre pour errer nonchalamment d'herbe en herbe, de plante en plante pour les examiner, pour comparer leurs divers caractères, pour marquer leurs rapports et leurs différences, enfin pour observer l'organisation végétale de manière à suivre la marche et le jeu de ces machines vivantes, à chercher quelquefois avec succès leurs lois générales, et la fin de leurs structures diverses, et à me livrer au charme de l'administration reconnaissante pour la main qui me fait jouir de tout cela."
"Les plantes semblent avoir été semées avec profusion sur la terre, comme les étoiles dans le ciel, pour inviter l'homme par l'attrait du plaisir et de la curiosité à l'étude de la nature ; mais les astres sont placés loin de nous ; il faut des connaissances préliminaires, des instruments, des machines, de bien longues échelles pour les atteindre et les rapprocher à notre portée. Les plantes y sont naturellement. Elles naissent sous nos pieds, et dans nos mains pour ainsi dire, et si la petitesse de leurs parties essentielles les dérobe quelquefois à la simple vue, les instruments qui les rendent sont d'un beaucoup plus facile usage que ceux de l'astronomie. La botanique est l'étude d'un paresseux solitaire : une pointe et une loupe sont tout l'appareil dont il a besoin pour les observer. Il se promène, il erre librement d'un objet à l'autre, il fait la revue de chaque fleur avec intérêt et curiosité, et sitôt qu'il commence à saisir les lois de leur structure il goûte à les observer un plaisir sans peine aussi vif que s'il lui en coûtait beaucoup. Il y a dans cette oiseuse occupation un charme qu'on ne sent que dans le plein calme des passions mais qui suffit seul alors pour rendre la vie heureuse et douce." (...)
"Cette étude (est devenue) pour moi, une espèce de passion qui remplit le vide de toutes celles que je n'ai plus."
A la recherche des Fleurs Sauvages
De tous les endroits que le botaniste doit explorer, les murs à l'état ancien constituent l'un des plus pittoresques. C'est de bonne heure, au printemps, qu'il faut les visiter principalement. Les murailles en ruines, celles surtout qui ont entouré ou qui entourent encore des jardins privés dans lesquels on a cultivé, pour des raisons d'utilité ou d'agrément, des plantes appartenant à notre flore ou à des flores lointaines, deviennent fréquemment une nouvelle patrie pour quelques-unes d’entre elles, qui se développent et se reproduisent tout aussi bien que dans leur région naturelle.
Les champs offrent au botaniste une flore élégante formée, dans les terres cultivés proprement dites, de végétaux annuels, dont le développement total s'opère dans le même laps de temps que celui des céréales qu'elles accompagnent.
L'époque la plus convenable pour explorer les champs est celle qui précède la moisson d'environ un mois ou six semaines ; c'est vers cette époque que fleurit cette légion de plantes si connues sous les noms de bleuet, coquelicot, pied-d'alouette, mélampyre, blé de vache, dont l'indigénat serait difficile à démontrer. C'est encore en juin que le botaniste pourra récolter plusieurs crucifères et ombellifères, et presque toutes les véroniques annuelles.
Les vignes offrent aux botanistes des espèces annuelles, notamment les Fumaria, le Calendula arvensis, etc. Néanmoins, la nature du terrain et surtout l'exposition qu'on consacre d'ordinaire à la viticulture, y font apparaître parfois des plantes d'un climat un peu plus méridional.
Les localités boisées les plus riches sont naturellement celles où les diverses essences sont d'une taille comparativement peu élevées, dont le couvert est peu épais, et celles aussi dont le terrain est plutôt frais ou humide que sablonneux et sec. Les bois formés exclusivement d'arbres résineux n'abritent en général qu'une végétation pauvre en espèces et chétive en individus.
Les forêts sont la patrie d'un nombre considérable de plantes appartenant à presque toutes les grandes divisions du règne végétal. Cette diversité entraîne forcément des différences dans l'époque de leur floraison. Pour la recherche des hépatiques et des lichens, les excursions auront lieu de novembre à mars. En avril, on récoltera les primevères, la sylvie, le perce-neige.
On ne dira rien des terrains occupés par les bruyères, ils sont en général si pauvres que ces arbustes y forment à peu près exclusivement le fond de la végétation.
Il est curieux, pour le botaniste, de jeter un coup d’œil sur la végétation si caractéristique du voisinage des habitations. Cette flore est peu importante et les espèces qui la composent semblent moins rechercher l'exposition du lieu que la présence, dans le terrain, d'une certaine quantité d'humus ou de substances salines. Ainsi de l'ortie.
La flore des endroits inondés dépend de la profondeur des eaux. En général, elle est d'autant plus luxuriante et variée que la couche d'eau est moins épaisse. Elle comporte une variété de fleurs élégantes, dont l'aspect change selon que l'eau est courante ou dormante.
La végétation des marécages, qui touche évidemment par beaucoup de points à celle dont il vient d'être question, est l'une des mieux caractérisées. Elle appartient, en effet, presque exclusivement aux graminées et aux cypéracées. C'est en juin-juillet qu'on l'explorera de préférence.
Si, en parcourant les localités de la plaine, le botaniste est frappé du fait que plusieurs des végétaux herbacés qui en constituent la flore présentent des tiges et des feuilles très développées, tandis que leurs racines restent généralement grêles, il pourra constater le phénomène inverse dans les plantes très élevées. Ici, en effet, le plus souvent, les tiges et les feuilles excèdent à peine un décimètre ; les racines, au contraire, pénètrent dans les fissures ou les débris mouvants des rochers à une profondeur souvent considérable. Autant le feuillage des plantes est, en plaines, mou, flasque, autant celui des végétaux alpins est généralement recouvert d'un substance plus ou moins visqueuse.
C'est dans les pays de montagne que le botaniste st assuré de faire des récoltes d'autant plus abondantes et variées qu'il s'élèvera plus vers les régions supérieures. Les lieux herbeux où se réunissent les torrents qui descendent des hautes altitudes doivent être explorés avec soin ; ils sont d'ordinaire l'habitat d'un certain nombre d'espèces rares appartenant surtout aux cypéracées et aux joncées. Enfin, les parties rocailleuses désignées le plus souvent sous les noms de Graviers ou d'Eboulis offrent un grand intérêt à l'explorateur ; là, il rencontre fréquemment, beaucoup mieux développées et toujours plus faciles à récolter, bon nombre d'espèces des sommets les plus élevés et souvent inaccessibles, qui s'y trouvent entraînées par différentes causes, notamment par la fonte des neiges.
L'époque la plus convenable pour herboriser dans les montagnes est mai-juin pour les localités peu élevées, mi-juillet pour celles situées entre 1000 et 2000 mètres d'altitude, et de fin juillet à mi-août pour les régions supérieures.
Les végétaux des régions méridionales revêtent des caractères communs : racines grêles, feuilles étroites, parfois coriaces, une odeur souvent pénétrante. L'amateur qui veut herboriser avec fruit dans ces régions doit le faire de mars à juin et en septembre de préférence.
Mais ce sont dans les haies et sur les bords des chemins campagnards que le botaniste trouvera le plus de variétés de fleurs et cela, par la loi des alternances, durant une bonne partie de l'année.